Heureux souvenirs d’un métier disparu
HISTOIRE. Présentée ce printemps au Complexe culturel Félix-Leclerc, l’exposition De la forêt à la rivière, portant sur l’exploitation forestière en Haute-Mauricie, a ravivé de nombreux souvenirs chez Gilles Caron.
Alors qu’il était question de garde-feu, le Latuquois de 88 ans s’est amené une fois avec un album photo souvenir du temps qu’il avait pratiqué ce métier aujourd’hui disparu au profit des avions amphibies Canadair.
« Nous étions deux gars. On partait le 15 mai et on revenait les cheveux longs le 15 septembre, sans sortir du bois. On gagnait 150$ par mois et quand je revenais à La Tuque, j’en donnais 200$ à ma mère » sourit Gilles Caron que L’Écho a rencontré dans sa maison de la rue Castelnau.
Durant trois ans, de 1952 à 1954, alors qu’il n’avait pas encore vingt ans, le jeune adulte s’en allait vivre l’aventure en forêt. « La première fois, c’était à la tour 34 au Domaine McCormick, de Mme Stillman. On devait faire deux milles en canot puis cinq milles de portage. On traversait ensuite la rivière Vermillon pis on avait un autre cinq milles à faire dans les montagnes. Là, on arrivait dans un camp en bois ronds. On croisait en chemin des ours, mais surtout des orignaux. Il y en avait tellement. »
Un revolver Luger
En rotation en matinée et en après-midi, chacun des garde-feux devait faire une ronde de quatre à cinq heures. Pour se désennuyer, les jeunes hommes s’amusent à tirer sur des cibles. « J’avais un revolver Luger. Ce n’était pas compliqué comme aujourd’hui dans le temps. On grimpait jusque dans la tour d’observation de 70 pieds sans attelage. J’ai un petit-fils qui travaille pour Hydro-Québec et quand il monte sur un escabeau de six pieds, il est obligé de s’attacher », lance en riant Gilles Caron qui dit n’avoir jamais eu le vertige.
Le Latuquois a également travaillé comme garde-feu à Oskélanéo, un petit hameau au sud du réservoir Gouin. Par la suite, il s’en est allé dans la région de la Baie-James, aux lacs Nicobi et Doda. « Là-bas, il avait des belles tours hexagones hautes de 90 pieds. C’était le gros luxe avec une radio de l’armée pour communiquer. On prenait le train de La Tuque jusqu’à Senneterre et de là, un hydravion d’Air Fecteau nous amenait jusqu’aux tours. »
Il côtoie durant ces étés des autochtones, dont un, Tommy Dixon, dont il garde aujourd’hui quelques photos et de bons souvenirs. « Sa femme m’avait fabriqué une paire de mitaines en cuir avec de beaux motifs amérindiens », se rappelle-t-il.
Pêcheur pour les patrons
Dans la région de la Baie-James, Gilles Caron se transforme quelquefois en pêcheur quand les hauts placés de la compagnie viennent sur place. « Ils voulaient ramener du doré. On s’en allait dans un lac et on jetait un filet. On pouvait prendre plus d’une cinquantaine de dorés d’un seul coup. Il fallait ensuite tout arranger ça en filet. »
Le Latuquois se souvient d’avoir attrapé également de l’esturgeon, du brochet et du corégone, un poisson de la famille du saumon. « Ce n’était pas compliqué, tu jetais ta ligne à l’eau et ça mordait tout de suite. Quand on préparait l’esturgeon, on jetait tous les œufs noirs parce qu’on trouvait ça dégueulasse. On a appris plus tard que c’était du caviar et que ça valait une fortune. »
Un pilote d’avion revient aux deux semaines pour apporter de la nourriture, essentiellement des beans Clark en conserve, du beurre, des œufs, du baloney et du pain de viande Klik et Kam. « On n’avait pas de frigo. On creusait un trou dans la mousse près d’un lac et on enterrait ça pour que ça reste frais. »
Quand les garde-feux aperçoivent de la fumée, un hydravion vient les cueillir et les transporter le plus près de la source du feu. « Il y a tellement de lacs que ce n’était pas compliquer d’arrivée proche », se souvient Gilles Caron. Les équipements sont alors rudimentaires pour contenir un incendie : une pompe pour puiser l’eau et une pelle pour creuser des tranchées.
« C’était une belle époque. Je ne m’ennuyais pas parce que j’ai toujours aimé le bois. Je me suis bien amusé », sourit Gilles Caron qui a par la suite travaillé durant 35 ans pour la CIP à La Tuque. « Ma mère lisait des chapelets pour que je rentre à l’usine. Faut croire que ça a marché », conclut-il.