Jude Bourbeau : fidèle à la poste depuis 37 ans

PASSION.  «  ­Les vieux chauffeurs de truck comme moi, on chiale un peu, mais quand tu vis dans ton camion autant d’années, c’est parce que tu aimes ça. Si les gars ont de belles machines et qu’ils en prennent soin, c’est parce qu’on est des passionnés. Dans notre camion, on est tout seul et on est libre.  »

À 66 ans, ­Jude ­Bourbeau sait de quoi il parle. Depuis 37 ans, il parcourt la distance ­Trois-Rivières – ­La ­Tuque, aller et retour, cinq jours par semaine pour livrer les lettres et colis de ­Postes ­Canada. L’odomètre de son ­Peterbilt grimpe de plus de 80 000 km par année.

Réglé comme une horloge, le ­Grand-Mérois d’origine se lève à 3 h du matin pour se rendre une heure plus tard au bureau de poste de ­Trois-Rivières. Son camion chargé de lettres et de colis, il prend la direction nord avec des arrêts à ­Shawinigan, ­Grandes-Piles, ­Saint-Roch-­de-Mékinac et ­Mattawin pour cueillir le courrier.

Vers 14h, il reprend la route vers la capitale régionale en faisant des haltes aux mêmes endroits pour y déposer le courrier provenant de ­La ­Tuque. «  J’arrive au bureau de poste de ­Trois-Rivières vers 18 h  », raconte ­Jude ­Bourbeau, devant son rutilant camion rouge vif, à la couleur de la société de la ­Couronne.

En fait, durant les douze premières années, le facteur de la route 155 faisait le trajet inverse, partant de ­La ­Tuque pour se rendre à ­Trois-Rivières avant de revenir en ­Haute-Mauricie. «  ­Dans le temps, c’était sept jours sur sept et je partais de ­La ­Tuque vers 17 h et je revenais au petit matin  », se ­rappelle-t-il.

Jude ­Bourbeau a débuté sa carrière comme livreur de courrier au début des années 1980, mais en faisant durant un peu plus de deux ans le trajet ­Montréal – ­Trois-Rivières. «  ­Je ne pense pas que je l’aurais fait 30 ans cette ­job-là. L’autoroute 40, c’est plate en maudit  », ­lance-t-il en souriant.

Comme une famille à ­La ­Tuque

Quand on lui demande à quel âge ­pense-t-il se retirer, il répond 73 ans. Pourquoi 73 ? «  ­Pourquoi pas, ­rétorque-il tout de go. Moi, la fin de semaine, je me lève de bonne heure. Je vais au ­Morgane à côté de chez nous prendre un café et je lis le journal. Deux jours à faire ça, c’est correct, mais pas une semaine. Ici à ­La ­Tuque, c’est comme ma famille. Entre le moment où j’arrive et que je repars à ­Trois-Rivières, je vais jaser avec les mécaniciens au garage à côté du bureau de poste. Je lave mon camion. On vient me voir pour parler. On se rend des services entre nous autres. C’est une belle gang  », ­confie-t-il.

En près de quatre décennies à parcourir la route 155 presque quotidiennement, ­Jude ­Bourbeau a réussi l’exploit de ne jamais avoir eu d’accident. L’homme est bien placé pour évaluer ce tronçon où sont décédés des centaines d’automobilistes au cours des années. «  ­Avant que le ministère ne fasse des accotements, ça passait serré entre les camions. Il fallait que tu mettes une sur la gravelle. Moi, ça me coûtait un ­pare-brise par année dans le temps. Même aujourd’hui sur les bouts où il y a un ­garde-fou, il faut que tu fasses attention quand tu croises une van.  »

Dans ce que la majorité des gens trouverait routinier comme emploi, ­Jude ­Bourbeau y voit au contraire une source de contemplation. «  ­La route 155, il y a toujours de quoi qui se passe. Quand ce n’est pas un accident, tu vois un chevreuil. Entre camionneurs, on jase entre nous autres au ­CB. Moi, je vois le soleil se lever tous les matins. L’automne, c’est beau avec les couleurs. L’hiver, c’est un tout autre paysage. Parfois, j’ai de la misère à me lever à 3 h du matin, mais quand je suis dans mon truck, je suis content d’être debout. Si tu es couché, tu ne le vois pas le lever de soleil. C’est une vraie passion  », ­termine-t-il.