Cancer du sein: le Québec a-t-il assez de ressources pour le dépistage à 40 ans?

MONTRÉAL — Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a annoncé cette semaine qu’il a mandaté l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) pour évaluer l’élargissement potentiel du dépistage du cancer du sein dès l’âge de 40 ans. Il ne faut pas seulement élargir l’accès, souligne une chercheuse du CIRANO, mais aussi assurer un meilleur suivi. Comment y arriver en contexte de pénurie de personnel de la santé?

Une nouvelle étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) soulève les retards que le Québec accuse en matière de dépistage du cancer du sein. Il se classe notamment parmi les derniers au Canada quant aux délais de diagnostic à la suite d’un résultat anormal de dépistage. Il n’a pas non plus de directives aux femmes présentant un facteur de risque élevé comme des antécédents familiaux ou leur densité mammaire.

Au cours de sa vie, une femme sur huit recevra un diagnostic de cancer du sein. Au Canada, il s’agit de la deuxième cause de décès par cancer chez les femmes de tous âges, mais la première cause chez les femmes de 30 à 49 ans.

Au Québec, lorsque les femmes atteignent 50 ans, elles reçoivent une lettre du gouvernement les informant de leur admissibilité au Programme québécois de dépistage du cancer du sein (PQDCS) et les invitant à prendre rendez-vous.

En 2024, le programme a été élargi aux femmes de 70 à 74 ans. Le Québec a ainsi emboîté le pas aux autres provinces qui offrent depuis de nombreuses années le dépistage jusqu’à 74 ans.

L’étude du CIRANO met en lumière que le Québec fait piètre figure pour le suivi d’un résultat de mammographie anormal. Selon le centre de recherche, «un registre du cancer désuet et un manque de normalisation des soins contribuent aux retards du Québec».

«Le fait d’ouvrir le programme, c’est une étape, mais il faut aussi que les rendez-vous pour les mammographies soient accessibles. Donc ce n’est pas juste d’élargir le programme, c’est aussi de s’assurer que les femmes puissent avoir le test, que les spécialistes sont capables de lire les résultats et qu’il y a des soins de suivi qui sont assez disponibles», a fait valoir Erin Strumpf, coauteure de l’étude du CIRANO.

«Avec plus de mammographies, on va avoir plus de tests anormaux qui vont augmenter le besoin de suivi. Ça risque de faire en sorte que les délais sont encore plus longs. Il faut trouver une façon de mieux organiser [les suivis], pas juste d’ouvrir l’accès à la mammographie», ajoute-t-elle.

Les retards de diagnostic ont des conséquences tangibles sur la santé des femmes. Ils augmentent le risque «de diagnostiquer le cancer à un stade avancé, ce qui entraîne des traitements plus lourds et un pronostic moins favorable», indique l’étude. Selon la Société canadienne du cancer, le taux de survie à cinq ans atteint 99,8 % pour les cancers de stade I; 92 % pour le stade II; 74 % pour le stade III; et 23,2 % pour les cancers diagnostiqués au stade IV.

Mme Strumpf croit qu’il est possible pour le Québec de faire mieux, malgré le contexte de pénurie de main-d’œuvre. Par exemple, dès qu’une mammographie est faite, on peut partager un fichier électronique provenant des régions éloignées vers les grands centres urbains où il y a plus de personnel pour analyser les résultats. «Il y a certainement des pistes pour augmenter l’efficience du système, dit-elle. Mais c’est vrai que si on veut déployer et offrir plus de services, il faut normalement plus de ressources.»

Problème d’accès aux données

Les données québécoises sur les programmes organisés de dépistage ne sont pas disponibles pour les chercheurs et les journalistes, déplore Mme Strumpf. De plus, les données du registre du cancer du Québec ne sont pas mises à jour. Les données les plus récentes de ce registre partagées avec le reste du Canada datent de 2017.

«Ces données, ce n’est pas juste pour le plaisir des chercheurs, c’est pour être capable de comprendre: avec les interventions qu’on fait, est-ce qu’on va mieux ou pas? La demande à l’INESSS est de prévoir si c’est une bonne idée ou pas, mais après on veut savoir aussi si c’était efficace», explique Mme Strumpf.

Le ministère de la Santé rend publiques plusieurs données sur divers enjeux de la santé sur son tableau de bord. Or, selon la chercheuse, cela ne constitue que des fragments de données qui sont insuffisantes pour comprendre, par exemple, les impacts de l’élargissement du dépistage du cancer du sein.

«C’est mieux que rien, j’imagine, mais parfois le fait de mettre quelques chiffres sur un site web permet au ministère ou au gouvernement de dire: ‘’on a donné des informations, on ne peut pas être plus transparent que cela’’», déplore Mme Strumpf, qui est également professeure au Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill.

La pénurie de médecins, un obstacle

L’idée du dépistage à 40 ans ne serait pas de dépister toutes les femmes à cet âge, mais plutôt de rendre plus accessible le dépistage pour les femmes qui estiment que cela leur sera bénéfique. Pour ce faire, le gouvernement devrait aussi partager et vulgariser de l’information, estime Mme Strumpf. «À mon avis, c’est important que l’éducation ne passe pas seulement par le médecin parce qu’on sait bien qu’au Québec, plusieurs personnes n’ont pas de médecin de famille», précise la chercheuse.

«Ça va être important si on va dans cette direction que les informations nécessaires pour que les femmes puissent mesurer les avantages et désavantages soient disponibles et vulgarisées pour que les gens puissent mieux comprendre leur situation», ajoute-t-elle.

L’étude du CIRANO soutient que la pénurie de médecins de famille au Québec «constitue sans aucun doute un obstacle sérieux au diagnostic». Dans certains cas, les femmes présentant des symptômes tentent de s’informer en ligne, elles déboursent dans des cliniques privées ou elles se présentent à l’urgence.

Mme Strumpf souligne que même si le ministère élargit le programme de dépistage, il n’y aura pas «une piste évidente» pour une femme de 40 ans qui souhaite se faire dépister. Elle suggère de ne pas tout mettre dans les bras des oncologues en utilisant mieux les compétences des infirmières spécialisées, par exemple.

L’INESSS devrait faire connaître ses recommandations sur le dépistage à 40 ans d’ici 2025. Ailleurs au Canada, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario ont récemment suivi l’exemple de la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard qui offrent le dépistage dès 40 ans depuis plusieurs années. Le Manitoba a annoncé cet automne que d’ici la fin de 2025, l’âge d’admissibilité passera de 50 à 45 ans, avec l’objectif de l’abaisser éventuellement à 40 ans.

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