Le mode de vie des «pollutocrates» menace la planète, selon un rapport d’Oxfam

MONTRÉAL — Cinquante des milliardaires les plus riches du monde produisent plus de carbone en 90 minutes qu’une personne normale ne le fait pendant toute sa vie, selon un nouveau rapport d’Oxfam, dont une partie de la méthodologie ne fait pas l’unanimité.

Le mode de vie des «pollutocrates» est principalement responsable de l’excès des émissions de CO2 dans le monde, selon le rapport qui appelle les gouvernements à «faire payer les riches pollueurs».

Le document, intitulé «Les inégalités carbone tuent», soutient que, par leurs investissements, leurs avions privés et leurs yachts, 50 des personnes les plus riches de la planète produisent plus de carbone en une heure et demie qu’une personne moyenne pendant toute sa vie.

«Les 50 personnes identifiées font partie de la liste Bloomberg du classement des milliardaires», mais «ils ne sont pas le top 50 des plus riches», a expliqué Julie McClatchie, analyste politique d’Oxfam-Québec, en entrevue avec La Presse Canadienne.

Elle a précisé qu’Oxfam International «a choisi cinq milliardaires par régions les plus riches pour former un échantillon global».

Jeff Bezos, Elon Musk et la famille Walton

Parmi les grandes fortunes du monde qui contribuent à la crise climatique, selon Oxfam, il y a la famille Walton, héritière des magasins Walmart.

Selon le rapport, la famille Walton possède trois yachts de luxe qui, en 12 mois, ont émis autant de carbone qu’environ 1714 personnes travaillant dans des magasins Walmart.

Toujours selon le rapport, les deux jets privés du propriétaire d’Amazon, Jeff Bezos, ont passé près de 25 jours dans les airs en un an et ont émis autant de carbone que pourrait en émettre un employé d’Amazon aux États-Unis en 207 ans.

Le document indique également qu’Elon Musk possèderait deux jets privés qui produisent ensemble 5497 tonnes de CO2 par an.

Les données d’Oxfam montrent que les jets privés de 23 des individus les plus riches émettraient en moyenne 2074 tonnes de carbone par année, ce qui équivaudrait à 2000 ans d’émissions de gaz à effet de serre pour une personne qui fait partie de la moitié la plus pauvre du monde.

Les émissions des jets privés et des yachts sont toutefois «mineures dans les émissions globales», selon le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau.

En revanche, a commenté le professeur après avoir parcouru le rapport, «si tout le monde avait des comportements équivalents à ceux des super-riches, le budget carbone dont nous disposons diminuerait à une vitesse folle et, effectivement, les super riches ont une bien plus grande responsabilité dans les émissions mondiales à cause de leur style de vie».

Épuisement du budget carbone

Le rapport d’Oxfam indique que «si le monde maintient ses émissions actuelles, le budget carbone (la quantité de CO2 qui peut encore être ajoutée à l’atmosphère sans que les températures mondiales dépassent le seuil de 1,5 degré Celsius) sera épuisé dans environ quatre ans», mais que «si tout le monde commençait à émettre autant de carbone que les jets privés et les superyachts d’un milliardaire moyen de l’étude d’Oxfam, le budget serait épuisé en deux jours».

Certaines des personnes les plus riches du monde rejettent du CO2 «sans égards aux autres et sans tenir compte des impacts globaux de leur pollution toxique». Ces gens sont, selon Oxfam, des «pollutocrates».

Les émissions des investissements contestées

Oxfam souligne que les émissions de GES des plus riches sont en partie attribuables à leur style de vie luxueux, mais surtout imputables à leurs investissements.

«Les émissions moyennes liées aux investissements de 50 des milliardaires les plus riches du monde sont environ 340 fois supérieures à celles de leurs avions privés et de leurs yachts combinés», selon le rapport.

Dans sa méthodologie, Oxfam attribue les émissions de CO2 des entreprises à leurs actionnaires.

«On a regardé les émissions de scope 1 et de scope 2 de chacune des entreprises dans lesquelles les milliardaires investissent. Les scopes 1 et 2 sont les échelles des émissions directes et indirectes des différentes entreprises de différents secteurs dans lesquels les milliardaires investissent. Par exemple, on a calculé que si un milliardaire avait 10 % d’investissements dans une compagnie X, on assume une responsabilité qui est également de10 % des émissions financées», a expliqué l’analyste politique d’Oxfam Julie McClatchie.

Mais le spécialiste des politiques énergétiques Pierre-Olivier Pineau est d’avis que cette méthodologie fait en sorte que les émissions des investissements des supers riches sont largement surestimées.

Selon lui, attribuer les émissions produites par une entreprise uniquement à leurs actionnaires ou à leurs propriétaires, «c’est omettre le fait que ces entreprises émettent des émissions pour satisfaire des consommateurs. Les propriétaires ont une part de responsabilité, mais ils n’ont pas l’entièreté de la responsabilité des émissions des entreprises. C’est une responsabilité partagée, autant au niveau des consommateurs que des autres acteurs économiques.»

Faire payer les ultrariches

En raison de leurs émissions de GES, les ultrariches contribuent de façon disproportionnée à la crise climatique, ce qui alimente les inégalités, peut-on lire dans le rapport.

Oxfam demande aux différents gouvernements d’instaurer «des impôts permanents sur le revenu et la fortune pour les 1 % les plus riches».

L’ONG réclame aussi que soit banni ou taxer lourdement les biens de luxe à forte intensité de carbone, comme les jets privés.

De plus, Oxfam appelle à «la mise en place d’un système d’imposition progressif sur le revenu et la fortune des individus les plus riches et sur les profits des grandes entreprises, en commençant par une taxe sur les bénéfices excédentaires», afin d’honorer et de rehausser les engagements en matière de finance climatique internationale.

«Le rapport recommande de faire payer les pollueurs, le prix de leur pollution et, si on le faisait, on aurait les moyens d’avoir un monde plus égalitaire, au bénéfice de tout le monde», car «avec moins d’inégalité, on a un monde moins instable», a commenté le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau.

Le rapport d’Oxfam est publié une dizaine de jours avant le début de la COP29 sur le climat qui aura lieu à Bakou en Azerbaïdjan.