Les sociétés pétrolières et gazières soumises à un plafond d’émission en 2030
OTTAWA — Les producteurs de pétrole et de gaz au Canada devront réduire, entre 2030 et 2032, leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 35 % par rapport au niveau de 2019, prévoit un projet de réglementation présenté lundi par le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault.
Le secteur visé est responsable du tiers des émissions de gaz à effet de serre au pays. Le ministre lui a demandé, en point de presse, de maintenant «faire sa part» pour participer à la réduction de la pollution.
Steven Guilbeault a rappelé que les profits du secteur pétrolier et gazier ont décuplé après la pandémie, «passant de 6,6 milliards de dollars en 2019 à 66,6 milliards de dollars en 2022». Il croit que ce secteur doit réorienter «ces profits records» vers la décarbonation.
La conférence de presse prenait parfois les allures d’une annonce de campagne électorale, puisque M. Guilbeault et les autres ministres qui l’accompagnaient ont multiplié les attaques contre le chef conservateur Pierre Poilievre.
«M. Poilievre nous dit littéralement qu’il n’a pas de plan en matière d’environnement», a lancé le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson.
M. Guilbeault a admis qu’un éventuel gouvernement Poilievre aurait tout le loisir d’annuler la réglementation libérale qui devrait entrer en vigueur d’ici la fin 2025 à moins qu’une élection fédérale soit déclenchée avant.
«La meilleure garantie que je peux vous donner pour que Pierre Poilievre ne défasse pas tout ce que nous avons fait en environnement, c’est de réélire le Parti libéral», a-t-il répondu quand une journaliste l’a interrogé sur le risque que la réglementation tombe.
Le ministre a fait valoir que «dans une société démocratique, tout gouvernement dûment élu a le droit et la capacité de faire les choses qu’il a envie de faire et de défaire ce que le gouvernement précédent a fait».
Pour les libéraux, la réglementation qu’ils mettent de l’avant vise à remplir leur promesse électorale de 2021 de forcer le secteur de l’énergie à faire sa part dans la lutte contre les changements climatiques.
L’ébauche de règlement, qui a environ deux ans de retard sur le calendrier, pourrait affecter davantage les relations entre Ottawa et le gouvernement de l’Alberta, qui a récemment lancé une campagne publicitaire de 7 millions $ pour «supprimer le plafond».
La réglementation propose de forcer les émissions des opérations pétrolières et gazières en amont à diminuer de 35 % par rapport à 2019, entre 2030 et 2032. Cette proportion est en fait une estimation de la réduction qui sera exigée, puisque le seuil d’émissions sera, en réalité, fixé à une réduction de 27 % par rapport à 2026.
Des unités d’émission seront accordées aux installations pétrolières et gazières assujetties au système de plafonnement et d’échange, lequel doit être pleinement en vigueur en 2030.
Au fil des ans, le gouvernement accordera moins d’unités, ce qui devrait encourager les exploitants à réduire leurs émissions. Si un exploitant ne possède pas suffisamment d’unités pour couvrir ses émissions, il pourra alors en acheter à un autre exploitant.
Même si le système de plafonnement et d’échange ne serait en place qu’à compter de 2030, de 2026 à 2029 «les exploitants seraient tenus de consigner et de déclarer leurs émissions et leur production».
Les exploitants bénéficieront tout de même d’une période de grâce de quatre ans durant lequel ils n’auront pas à démontrer qu’ils réduisent de 27 % leurs émissions, ont expliqué de hauts responsables gouvernementaux aux médias.
Les émissions du secteur ont déjà diminué de 7 % entre 2019 et 2022 – l’année la plus récente pour laquelle des statistiques sont disponibles – avec des niveaux de production similaires.
Par ailleurs, Ottawa estime que son «projet de règlement ne devrait pas avoir d’incidence sur le coût des articles de tous les jours, comme le carburant ou l’épicerie», peut-on lire dans les documents publiés lundi.
La production inchangée, selon Ottawa
Tant M. Guilbeault que M. Wilkinson ont insisté sur le fait que le plafonnement s’applique aux émissions de GES et non à la production pétrolière et gazière. Ils ont ainsi semblé vouloir balayer toute critique voulant que des emplois soient menacés.
Cette ligne d’attaque a d’ailleurs été employée par les conservateurs de Pierre Poilievre durant la période des questions.
«Le premier ministre va-t-il mettre fin à son vandalisme économique et annuler ses augmentations de taxes qui réduisent les chèques de paie et tuent des emplois?», a lancé leur leader parlementaire, Andrew Scheer.
Selon M. Guilbeault, les modèles fédéraux montrent que, même avec la réglementation, la production de pétrole et de gaz augmentera toujours de 16 % d’ici 2032, par rapport à 2019.
Le ministre plaide que la réduction des émissions du secteur pétrolier canadien est la seule façon pour le pétrole canadien de rester compétitif dans un monde qui recherche de plus en plus l’option la plus verte disponible.
Le plafond ne dicte pas ce que les entreprises doivent faire pour atteindre l’objectif, mais M. Guilbeault a noté que la modélisation suggère qu’environ la moitié des réductions proviendra de la réduction des émissions de méthane. Le reste sera réparti entre diverses technologies, notamment la capture et le stockage du carbone.
L’Alberta s’oppose, les groupes environnementaux plaident l’urgence
La première ministre de l’Alberta n’a pas tardé à dénoncer l’annonce du gouvernement fédéral. «Ne vous y trompez pas, ce plafond viole la Constitution canadienne», a écrit Danielle Smith dans un communiqué en faisant référence à l’article 92A qui «confère clairement aux provinces la compétence exclusive sur l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables».
Selon la première ministre albertaine, «ce plafond nécessitera une réduction de la production d’un million de barils par jour d’ici 2030» et «mènera l’Alberta et notre pays vers un déclin économique et sociétal».
Les groupes environnementaux, qui attendent depuis longtemps un règlement pour plafonner les émissions du pétrole et du gaz, demandent au gouvernement d’aller plus vite.
«Le temps presse! Ottawa doit procéder le plus rapidement possible pour imposer le système de plafonnement et d’échange à l’industrie des énergies fossiles canadienne. Face aux catastrophes climatiques qui s’enchaînent, on a besoin que l’industrie soit rendue imputable maintenant, pas dans cinq ans», a indiqué Anne-Céline Guyon, analyste Énergie et climat de Nature Québec.
«Le lobbying incessant de l’industrie pétrolière et gazière et l’opposition de certains politiciens provinciaux ne doivent pas faire obstacle à la finalisation de ce règlement essentiel pour contrôler les émissions du secteur», a pour sa part réagi Andréanne Brazeau, de la fondation David Suzuki.
Le Nouveau Parti démocratique a abondé dans le même sens, le chef Jagmeet Singh reprochant aux libéraux de se traîner les pieds. «Si Justin Trudeau veut honnêtement faire quelque chose, (qu’il) règle les problèmes dans ce plan et le (mette) en œuvre rapidement», a-t-il dit.
Le Bloc québécois déplore aussi «le retard» pris par le gouvernement quant à sa promesse électorale de 2021. La porte-parole bloquiste en matière d’environnement, Monique Pauzé, a déclaré qu’«on est loin des ambitions de l’Accord de Paris».
«Ce qui est demandé aux pétrolières, c’est d’avoir des résultats en 2030, 2032. Or, du même souffle, on apprend que les pétrolières vont augmenter leur production de 16 % d’ici 2032. Alors, j’ai le goût de vous dire: cherchez l’erreur», a-t-elle conclu.
– Avec des informations de Mia Rabson et Michel Saba