Un organisme neutre sur la laïcité est nécessaire, selon un regroupement protestant

QUÉBEC — Les cas de prosélytisme rapportés dans des écoles publiques ravivent la nécessité de mettre en place un organisme indépendant, gardien du droit des enfants à recevoir une éducation laïque, plaide un regroupement d’Églises protestantes évangéliques.

Le Réseau évangélique du Québec dénonce «l’instrumentalisation du religieux à des fins politiques» par certains partis, dans la controverse actuelle sur des enseignants qui enfreignent leur devoir de réserve dans des écoles publiques, notamment l’école Bedford à Montréal.

Le débat sur la laïcité a ainsi été relancé de plus belle au Québec avec la publication du rapport d’enquête dévastateur sur Bedford, mais selon les protestants évangéliques, le débat a été détourné.

Le 24 octobre, le Parti libéral (PLQ) et le Parti québécois (PQ) ont voté pour une motion favorable à la fin du financement public des écoles privées à vocation religieuse, alors que pourtant, la controverse touche non pas des écoles privées, mais des écoles publiques. Québec solidaire veut (QS) aussi couper les vivres aux écoles privées.

«L’affaire des écoles religieuses, c’est complètement sauté», a déploré le directeur des affaires externes du Réseau, Jean-Christophe Jasmin, dans une entrevue avec La Presse Canadienne diffusée lundi.

Selon lui, c’est «une école laïque de l’État qui n’applique pas ses propres règles de laïcité, et là, en réponse, on dit: on va fermer des écoles religieuses», a-t-il ironisé.

«Pourquoi quand l’État faillit à sa neutralité religieuse, la réponse est de taper sur les groupes religieux qui n’ont rien à voir là-dedans?» a-t-il demandé.

«On a une école publique qui est encadrée par des lois, mais qui ne les applique pas, et on a des écoles religieuses privées qui respectent le programme éducatif et les lois. Il n’y a pas de lien logique l’un avec l’autre.»

Les minorités religieuses finissent par être éclaboussées, voire discriminées, a-t-il fait savoir.

Par exemple, lorsque des organismes et des Églises évangéliques veulent louer un espace dans un hôtel, on leur refuse ou on annule, et dans des salles municipales, on leur dit non aussi au nom de la loi sur la laïcité, alors que rien n’interdit de louer un espace à un groupe religieux dans la loi, fait remarquer M. Jasmin.

«Pour les ministères protestants, ce genre de discrimination est fréquent et accepté» et «ça dure depuis des décennies», regrette-t-il.

Il réclame une institution neutre, séparée de l’État, comme un Observatoire de la laïcité – ou la Vigie de la laïcité en France -, dans le but de clarifier certaines interprétations de la loi, de recevoir des plaintes et d’émettre des recommandations.

M. Jasmin assure que les franco-protestants sont les premiers défenseurs de la laïcité, puisque historiquement, depuis même avant la Conquête, ils ont subi le penchant de l’État pour l’Église catholique, quand ce n’est pas carrément leur alliance.

Mais la laïcité, c’est la neutralité de l’État, pas de l’espace public, argue le porte-parole, et si la loi est censée protéger l’État des religions, «ça va dans les deux sens aussi», c’est-à-dire «protéger les minorités religieuses contre un État qui ne serait pas neutre».

Il évoque entre autres l’annulation d’un rassemblement anti-avortement de l’organisme Harvest Ministries International au Centre des congrès de Québec en 2023, par la décision de la ministre du Tourisme, Caroline Proulx.

«Sa décision était basée sur des motifs de discrimination religieuse», a affirmé M. Jasmin. Le groupe Harvest Ministries International poursuit actuellement le gouvernement.

«La plupart du temps, les gens ne vont pas dire qu’ils ne veulent pas louer à des évangéliques, mais même nous, après cet événement, ça a été assez ardu de louer un espace.»

La tournure que prend le débat actuel sur la laïcité, «c’est assez affolant pour nous», conclut-il.

Le directeur des affaires externes du Réseau appréhende déjà les conséquences d’un définancement des écoles religieuses: cela consistera à «injecter dans le secteur public les franges les plus engagées et pratiquantes des différents groupes religieux», a-t-il anticipé.

Au Québec, une cinquantaine d’écoles religieuses, catholiques, protestantes évangéliques, musulmanes, juives ou orthodoxes, reçoivent environ 160 millions $ par année d’argent public, selon le PQ.

Le rapport d’enquête sur l’école Bedford indique que le soccer aurait été interdit aux filles et fait mention de «certaines pratiques religieuses, telles que des prières dans les salles de classe ou encore des ablutions dans les toilettes communes».

Bien que «ces pratiques n’étaient majoritairement pas effectuées devant les élèves», la preuve analysée fait état de «deux événements où des élèves auraient été impliqués dans le cadre de pratiques religieuses».

On écrit également que «des témoins ont mentionné aux enquêteurs avoir constaté une forte influence du milieu communautaire sur plusieurs membres du personnel de l’école Bedford. Un certain nombre d’entre eux fréquenterait notamment un centre communautaire et une mosquée située dans le quartier».

Le rapport mentionne toutefois «que bien que le clan majoritaire soit surtout composé de personnes d’origine maghrébine, des personnes d’autres origines y sont aussi associées. Également, le clan minoritaire est lui aussi composé en partie d’individus d’origine maghrébine, incluant certaines des plus fortes oppositions au clan majoritaire».

On ajoute que «bien qu’il y ait effectivement présence de clans à l’école Bedford composés d’individus de différentes origines, les enquêteurs ont surtout observé une opposition entre des idéologies».

Le document fait aussi état de « lacunes dans l’enseignement de la communication orale, des sciences et de la technologie, de l’éthique et de la culture religieuse et de l’éducation à la sexualité».