Caribou: les biologistes dénoncent le manque de courage et de vision des élus

QUÉBEC — Les biologistes du Québec accusent les élus de manquer de courage et de vision dans la protection du caribou.

Dans un mémoire, ils dénoncent notamment la violation des lois et règlements par le gouvernement et son «laxisme», son inaction depuis au moins une trentaine d’années concernant cette espèce emblématique en danger, alors que les plans de rétablissement et les consultations se succèdent.

L’Association des biologistes (ABQ) réclame notamment la création de nouvelles aires protégées et l’adoption d’un mode de gestion des forêts plus viable, conforme au développement durable.

«Force est de constater que nos élus manquent de vision et de courage en ce qui concerne la gestion de la forêt, cela au détriment permanent de l’héritage naturel du Québec», lit-on dans le mémoire.

Ce document s’exprime en fait sur deux projets pilotes du gouvernement visant la protection des populations de caribous forestiers de Charlevoix et de caribous montagnards de la Gaspésie, sur les 16 populations au total que compte le Québec.

Ces projets pilotes sont «incomplets et nettement insuffisants pour éviter la disparition des caribous de Charlevoix et de la Gaspésie», estime l’association.

«Le problème n’est pas simple, la science est simple, les causes sont claires, il y a un consensus scientifique, après ça, mettre les actions en place n’est pas facile», a reconnu la vice-présidente de l’association, Amélie Goulet, au cours d’une entrevue avec La Presse Canadienne mardi.

On sait notamment que l’exploitation forestière, le grand nombre de chemins forestiers, le manque de vieilles forêts de conifères, l’abondance de l’orignal qui attire de nombreux prédateurs, tout cela nuit à la survie des caribous.

Polarisation

«Il y a une peur du côté politique de fragiliser une industrie» durant les dernières décennies, a-t-elle soutenu, mais selon elle, on devrait arrêter d’opposer la préservation de l’habitat des caribous à l’économie.

Cela «polarise inutilement les communautés, lit-on dans le rapport. Le gouvernement devrait chercher à apaiser les tensions sociales et non pas utiliser ce faux dilemme».

Or «le caribou est le canari dans la mine, en fait un indicateur de la santé de la forêt boréale», poursuit-on: l’exploitation actuelle n’est pas soutenable, la forêt s’épuise et le caribou en est le symbole.

Une bonne partie des travailleurs pourraient notamment être réaffectés à la restauration des habitats des caribous et des forêts, suggère Mme Goulet.

Évaluation des pertes

L’ABQ exige notamment une évaluation d’experts indépendants sur les pertes à prévoir dans l’industrie avec la mise en place des mesures de conservation de l’espèce.

En effet, les données divergent: la commission mise sur pied en 2022 estimait que 841 emplois directs seraient perdus et 96 millions $ par année pour la conservation de l’habitat du caribou forestier et du caribou montagnard.

Le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) estime à près de 6,5 milliards $ l’impact sur 10 ans causé par le décret fédéral pour seulement trois groupes de caribous.

Échec des enclos

Rappelons en effet qu’en juin, Ottawa, insatisfait des mesures de protection mises en place par le Québec, a proposé un projet de décret visant à interdire l’exploitation forestière dans certaines zones afin de protéger trois hardes comportant un total de 265 caribous forestiers, soit celles de Val-d’Or, de Charlevoix et du Pipmuacan, entre le Saguenay et la Côte-Nord.

L’ABQ critique aussi d’ailleurs les opérations de mise en enclos du Québec en vue de protéger les populations dans la zone de Val-d’Or, de Charlevoix et de Gaspésie, qui ont connu de nombreux ratés.

Selon les biologistes, Val-d’Or a été un «échec complet», tandis qu’en Gaspésie, «n’ayant pas produit de résultats, l’issue de cette tentative nous mène très près du seuil de l’extinction de cette souche génétique unique», lit-on.

Le caribou forestier est désigné comme espèce «vulnérable» depuis 2005 en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec et comme espèce «menacée» depuis 2003 en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada.

Le caribou montagnard de la Gaspésie est, quant à lui, désigné comme espèce «menacée» depuis 2009 au Québec et «en voie de disparition» depuis 2003 au Canada.

L’ABQ regroupe plus de 1000 biologistes, selon ses données.