Le gouvernement fédéral pourrait bien en être à son dernier souffle
OTTAWA — Si aucun parti politique ne baisse les bras, l’impasse persistant à la Chambre des communes atteindrait un stade sans précédent où le gouvernement n’aurait plus tacitement la confiance des députés même en l’absence d’une motion de censure.
Le Parti conservateur et le Bloc québécois ont déjà annoncé leur intention de renverser le gouvernement en présentant une motion de censure, mais personne ne peut prédire quand celle-ci serait proposée. Les travaux réguliers de la Chambre des communes sont sur la glace puisque, à la demande des conservateurs, deux questions de privilège sont débattues depuis des semaines et empêchent les députés de se pencher sur tout autre élément à l’ordre du jour. Les troupes de Pierre Poilievre disent vouloir forcer le gouvernement à rendre publics des documents demandés en comité et qui n’ont pas été communiqués.
Cette paralysie peut sembler représenter une bonne nouvelle pour un gouvernement minoritaire, malgré son incapacité à faire avancer son ordre du jour, mais le jour approche où elle l’empêcherait aussi d’obtenir des fonds pour fonctionner.
«Cela serait sans précédent. Je ne sais pas exactement ce qui se passerait alors, reconnaît le constitutionnaliste Lyle Skinner, qui est aussi le directeur des affaires parlementaires du sénateur Jim Quinn. Cela démontre nettement que quelque chose d’inhabituel est en train de se produire. À un moment donné, on va croire que le gouvernement a perdu la confiance de la chambre si aucune motion de censure n’a été présentée.»
Le Parlement doit reprendre la semaine prochaine ses activités. On ne s’attend pas à ce que les conservateurs mettent fin à leur stratégie de blocage.
Les libéraux et les conservateurs se blâment mutuellement pour la paralysie actuelle.
Les conservateurs ont promis de continuer de bloquer les travaux aussi longtemps que le gouvernement ne leur donne pas satisfaction.
Les libéraux répliquent en affirmant que leurs rivaux bloquent leur propre motion. Ils proposent que ce sujet soit plutôt débattu devant un comité, comme l’a ordonné le président de la Chambre.
«Nous nous sommes engagés à être au service des Canadiens au Parlement. D’importants projets de loi sont étudiés à la Chambre des communes. Les conservateurs devraient cesser de jouer à leur jeu partisan obstructionniste afin de laisser les députés débattre de ces projets de loi», a déclaré la leader parlementaire du gouvernement, Karina Gould.
Mme Gould juge que l’obstruction des conservateurs est irresponsable et imprudente. «Ils placent leurs intérêts partisans devant les responsabilités du Parlement», leur reproche-t-elle.
Le leader parlementaire des conservateurs, Andrew Scheer, réplique en affirmant que si Mme Gould se souciait réellement du Parlement, elle ferait remettre tous les documents, comme l’a ordonné le Parlement lui-même.
À cause de ce débat, les députés ne peuvent pas se pencher sur les autres questions à l’ordre du jour, ce qui empêche le gouvernement de demander des fonds, ce qui est pourtant une des raisons fondamentales de l’existence d’un Parlement.
Les projets de loi de crédit sont spéciaux, dit Me Skinner. Si le gouvernement ne peut pas convaincre le Parlement d’en adopter un, cela démontre que les députés n’ont plus confiance envers le gouvernement. Et si le gouvernement n’a plus la confiance des élus, cela peut déclencher des élections.
Et l’incapacité du gouvernement à faire voter un projet de loi de crédit soulève plusieurs questions.
«C’est presque comme une paralysie gouvernementale aux États-Unis parce que personne ne veut des élections. Et il n’existe aucun manuel sur cela», ajoute Me Skinner.
Un autre parti d’opposition pourrait collaborer avec les libéraux pour adopter une motion pour clore le débat, mais le NPD semble se satisfaire d’observer les libéraux et les conservateurs s’échanger une grenade procédurale. Il ne semble pas avoir l’intention d’intervenir pour mettre fin à la paralysie.
Le Bloc québécois appuierait les libéraux dans une motion de clôture qui mettrait fin à l’impasse aux Communes si le gouvernement, en échange, fait progresser le projet de loi protégeant la gestion de l’offre et même le traitement pour les retraités de 65 à 74 ans.
Tout ce que les libéraux peuvent faire, c’est de déclencher des élections ou de proroger le Parlement.
La cheffe du Parti vert, Elizabeth May, ne croit pas qu’on va en arriver là.
«Il est très vraisemblable qu’une majorité des élus et que les principaux partis verront l’intérêt ne de pas nous précipiter dans une crise de crédit pour mener les affaires gouvernementales», avait-elle déclaré en conférence de presse en novembre.