La solitude des parents orphelins

Vingt-deux minuscules heures.

C’est le temps que Ginny Blouin aura vécu sur la terre, mais avant que son petit cœur ne cesse de battre, ses parents lui ont promis de perpétuer sa mémoire. «Elle avait existé, mais elle allait continuer à vivre», confie Marjorie Desrochers.

La jeune maman de 23 ans a accouché d’une petite fille le 1er octobre dernier au centre hospitalier de Shawinigan. Ce moment qui devait être magique a tourné rapidement au cauchemar lorsque Ginny a arrêté subitement de respirer quelques minutes plus tard.

Après 40 minutes de manœuvres, l’équipe médicale réussit à la réanimer. Transférée d’urgence au CHUL de Québec, elle sera maintenue en vie artificiellement jusqu’à ce que ses parents autorisent le débranchement.

«Aujourd’hui, c’est une journée à la fois, mais l’automne dernier, c’était une minute à la fois», témoigne Marjorie Desrochers qui a créé la page Facebook Maman orpheline: Ma famille parfaitement imparfaite pour sensibiliser la population à ce phénomène, mais aussi, pour améliorer les services presque inexistants pour ces endeuillés pas comme les autres.

«Ce n’est pas pareil comme d’enterrer un de tes parents par exemple, souligne-t-elle. Là, tu dis adieu à quelqu’un que tu as porté neuf mois, mais que tu ne connais pas encore. Depuis que tu es enceinte, avec son papa, tu fais des projets. On devait l’avoir avec nous aux Fêtes. Elle avait déjà sa petite robe de Noël toute prête. Au fond, ce sont tous ces projets et rêves que tu enterres.»

Briser les tabous

Lorsque Marjorie et son conjoint Alex Blouin ont quitté le CHUL, ils n’ont eu droit qu’aux recommandations de téléphoner à la ligne Info-Santé 811 en cas de besoin, aux coordonnées de l’organisme Papillon Bleu à Trois-Rivières et à voir leurs noms inscrits sur une liste d’attente pour consulter un psychologue.

«Cela a pris un mois et demi avant d’avoir accès à un professionnel. Les moments les plus difficiles après un deuil comme celui-là, ce sont les premières semaines. J’ai dû aller au privé.»

Quant au Papillon Bleu, un groupe de soutien en deuil périnatal, Marjorie et Alex s’y sont retrouvés tout seuls avec un travailleur social.

«Ce n’est pas de ça qu’on avait besoin. On avait déjà un psychologue. Quand ça t’arrive, tu veux échanger avec d’autres parents qui ont vécu ou qui vivent la même situation», poursuit la maman.

Aujourd’hui, près de 500 personnes sont abonnées à sa page Facebook Maman orpheline tandis que son groupe privé Mamans Anges du Québec, réservé exclusivement aux parents en deuil périnatal – les paranges comme ils s’appellent – compte 56 membres.

«La plus âgée de mon groupe a perdu son bébé en 1979 et elle y pense encore aujourd’hui. À l’époque, en plus de ne pas avoir de ressources, il ne fallait même pas que tu en parles.» Un tabou encore tenace aujourd’hui et que veulent briser les deux jeunes parents en sortant sur la place publique.

Ne pas oublier le papa

L’empathie est portée naturellement vers la mère quand ces drames surviennent, mais le père n’en est pas moins affecté.

«Pour moi, ce sont les premières semaines qui ont été difficiles, raconte Alex. Une chance que mon employeur m’a donné des congés, car je n’avais pas la tête à travailler. Mon deuil s’est fait plus rapidement que Marjorie et c’est tant mieux, car maintenant, je peux m’occuper d’elle. Si on avait été les deux dans le même état, ça aurait été catastrophique.»

Près de cinq mois après le tragique événement, le couple reçoit encore des documents comme si la petite Ginny était toujours là, même si l’état civil a été informé de son décès dès les premiers jours. Carte d’assurance-maladie, carte d’assurance sociale, Desjardins offrant de cotiser à la Fondation Universitas… «Ce n’est pas nécessaire. Ce sont des papiers qui te ramènent à chaque fois à cette peine.»

C’est toute cette absence de soutien psychologique et logistique que Marjorie et Alex veulent démontrer en racontant leur histoire et ainsi, faire changer les choses. «Moi, c’est de pouvoir parler avec les autres mamans qui m’a sauvé. Elles m’ont dit: «Ne t’inquiète pas, il y a de l’espoir quelque part», termine Marjorie qui entend respecter sa promesse envers Ginny.