Lock-Out 3.0 à l’usine WestRock
Par Rémi Laflamme (Ancien chroniqueur à l’Écho de La Tuque et employé de l’usine (département Machines du local 34))
Nous en sommes encore là… malheureusement! Il s’agit d’un troisième lock-out en 12 ans à l’usine WestRock de La Tuque.
Quand je dis nous, je parle bien sûr des travailleurs de l’usine, dont je fais partie, mais aussi de tous les Latuquois ! Car, historiquement, les conflits de travail « au moulin » ont toujours affecté la population, soulevé les passions et créé de la division, des craintes et des tensions. Tout le monde retient son souffle dans ces moments angoissants puisque l’avenir de la ville est pratiquement en jeu à chaque fois.
Certes, l’industrie forestière est devenue au fil des ans un pilier très important (sinon LE plus important) au niveau économique en Haute-Mauricie, mais reste que la papetière Westrock, qui fait vivre plus de 500 familles, demeure un employeur de choix à La Tuque.
Comme à chaque conflit, les employés en quête d’une convention solide et raisonnable pour préserver leurs emplois et stimuler l’économie locale recevront leur part d’insultes et se feront dénigrer par une frange de la population. Phénomène décuplé depuis l’arrivée des réseaux sociaux. Une pluie de « bébés gâtés », « gang d’innocents » et autres « cabochons avec des secondaire 5 » s’abattra probablement sur eux. Mais avant de les juger, prenez en considérations les informations qui suivront dans ce texte et qui vous permettront de mieux saisir les enjeux de la situation actuelle.
Qui a-t-il de différent pour ce troisième lock-out en 12 ans?
Bien des choses! Le monde du travail a été bousculé et a subi bien des changements au cours des dernières années. Des changements qui s’avéraient prévisibles à moyen et long terme, mais qui ont été grandement précipités par la pandémie mondiale et qui ont pris le marché de court. Le télétravail, les réorientations de carrière, les retraites prématurées et la démographie (population vieillissante qui fait en sorte que le nombre de travailleurs quittant le marché du travail est toujours plus élevé que le nombre y entrant) sont des facteurs qui ont créé de grands mouvements de personnel et une pénurie de main d’œuvre historique et très problématique pour plusieurs entreprises.
Et l’usine Westrock de La Tuque n’y échappe pas, frappée de plein fouet par cet exode et ce manque criant de personnel elle aussi. Les périodes estivales, jadis sauvées par les employés remplaçants (spares) et le surtemps, ont pris en 2022 un tournant très inquiétant. De nombreux weekends, l’une des deux machines à papier devait cesser sa production par manque de personnel, du jamais vu en plus de 110 ans d’existence, causant au passage d’importantes pertes de revenus pour la compagnie.
Au début des années 2000, la liste de remplaçants comptait une cinquantaine de noms dans le local 34 seulement (département Machines, Finitions & Expédition, Laboratoire (bout sec) et Habillage (Bullgang)). Présentement, à peine une dizaine. Ce manque d’employés provoque également une quasi-impossibilité de prendre des congés mobiles, ce qui amène beaucoup de frustration. Il est difficile de se faire remplacer pour un jour de semaine en mars ou en novembre, alors imaginez un samedi en plein été! La pénurie retarde aussi grandement la formation sur les différents postes de l’échelle de progression et ne fait que compliquer encore plus la situation par le manque de main d’œuvre qualifiée pour des postes stratégiques de la ligne de production. Et cette spirale vers le fond qui est enclenchée sera très difficile à freiner si la tendance se maintient…
Plusieurs employés, dont certains avec plus de 10-15 ans d’ancienneté, ont quitté le navire, soit pour des emplois plus payants, soit pour retourner dans leur région, soit pour démarrer leur propre entreprise et souvent même pour des emplois moins bien rémunérés, mais qui offrent une qualité de vie plus intéressante, loin du bruit, de la poussière, de la monotonie, du travail de nuit et du travail un fin de semaine sur deux. Plusieurs autres attendent de voir l’issue des présentes négociations pour savoir s’ils quitteront ou non eux aussi. La quantité d’emplois disponibles sur le marché présentement dans plusieurs secteurs partout au Québec offrent des possibilités de relancer une carrière très rapidement et avec des conditions souvent plus avantageuses, surtout pour les travailleurs diplômés comme les mécaniciens et électriciens industriels qui composent, rappelons-le, une grande partie des travailleurs du Local 530 d’Unifor, présentement en litige.
Les exemples d’entreprises qui ont accordé des augmentations salariales importantes dans le but de garder leurs employés et assurer le développement et l’avenir de leur compagnie sont nombreuses ces temps-ci. Une main d’œuvre qualifiée, ça vaut de l’or en 2022! Certains l’ont compris.
Alors revenons donc au conflit actuel entre Westrock et le local 530. (Notons que, pour leur part, le local 34 a une convention valide jusqu’au 31 août 2024. En raison du lock-out, ils se retrouvent présentement sur le chômage). Ce conflit et ces négociations devront sortir du cadre habituel « Compagnie vs Syndicat », ce fameux pattern qui prévaut depuis toujours. Car oui l’heure est grave, très grave même. Dès les premières discussions, le local 530 a montré ses couleurs et signifié à la partie patronale qu’il était temps de travailler ensemble, et ce dans un seul but, sauver l’usine. Le local 34, pour une des rares fois en 50 ans, s’est aussi rallié au combat en démontrant un appui solide. Le nouveau directeur est lui aussi clairement au fait des problématiques et a démontré une belle ouverture et posé des gestes concrets pour tenter de réduire l’hémorragie depuis son arrivée, mais c’est encore loin d’être suffisant. En 2006, les syndicats ont concédé l’équivalent de 10$/hr pour sauver l’usine. Au fil du temps, ce manque à gagner, comparé aux autres usines du secteur papetier, a rendu la notre moins attrayante pour des emplois semblables et on en voit les répercussions aujourd’hui. C’est un peu malheureux à dire, mais le monde dans lequel on vit est ainsi fait, donc la seule possibilité pour garder les employés actuels et en attirer des nouveaux pour assurer la pérennité de l’usine westrock de la tuque, c’est plus d’argent.
Si rien n’est changé dans les offres et qu’aucune augmentation substantielle n’est offerte, l’usine est vouée à une fermeture dans un avenir très rapproché de toute façon par manque de personnel. C’est aussi simple que ça. Toutes les entreprises s’arrachent les travailleurs. Les nouvelles générations ont le choix, ce sont même eux qui posent les questions en entrevues de nos jours ! » Qu’est-ce que votre compagnie a à m’offrir ? « Pourquoi je viendrais travailler chez vous plutôt qu’ailleurs? », etc,etc…C’est la réalité en 2022. Je suis d’un naturel très optimiste dans la vie (J’attends toujours le retour des Nordiques…!), mais il est temps de faire face à cette triste réalité. Les demandes salariales actuelles n’ont rien d’un caprice de bébé gâté, ni rien de demandes insensées d’innocents non-instruits, c’est un simple constat qu’il faut s’adapter au marché actuel, si sauvage soit-il, si on veut survivre! Certains seront tenté de comparer leur propre situation à la nôtre et diront que nous sommes très chanceux d’avoir ces gros salaires comparés à d’autres domaines et qu’on se plaint pour rien, parfois par jalousie ou par ignorance, parfois avec raison, mais il faut toujours comparer des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges, sinon on nivelle par le bas…Et ils peuvent toujours amener leur CV à l’usine! Mais cette fois, comme je l’explique dans ce texte, ça va bien au-delà d’une traditionnelle chicane compagnie/syndicat. La population devrait se joindre à tous les employés (incluant même certains cadres) et faire sentir son appui envers le sauvetage de son usine. L’usine de La Tuque est très rentable, encore plus avec la faiblesse du dollar canadien. De récents investissements feront bientôt de notre usine un leader mondial pour certains cartons très lucratifs, et l’avenir s’annonce très prometteur de ce côté. Des employés qualifiés et d’expérience, c’est une rareté dans le domaine. Nous pouvons être fier de notre usine et devons la sauver à tout prix.