Souvenirs de Casey
HISTOIRE. C’était vers la fin des années 1950, début 60. À l’époque âgé de 16 ans, André Jacques embarquait dans un train en direction de Casey, où il allait travailler comme bûcheron pendant les cinq années suivantes. Riche de souvenirs et de rencontres, cette époque l’a marqué au point où à 81 ans, il a fait le voyage de Saint-Georges-de-Beauce à Casey, le temps d’un bref retour dans le passé.
«C’est un voyage que je ne pourrai jamais oublier», lance l’homme avec émotion.
Plongé dans ses souvenirs, M. Jacques se remémore ses cinq années passées à Casey avec beaucoup de plaisir. «J’y suis resté de 16 ans à 21 ans.»
«Ça a tellement changé! C’était merveilleux de revoir ça!»
– André Jacques
«Au début, je bûchais avec un bucksaw (sciotte). Plus tard, quand j’ai eu assez de bois de coupé, j’ai pu m’acheter une chainsaw (scie à chaîne) et je m’en suis servi pendant plusieurs années.»
M. Jacques raconte qu’à l’époque, trois contracteurs donnaient l’ouvrage aux bûcherons: Armand Groleau, François Damphousse et Hector Groleau. C’est pour ces deux derniers qu’il a travaillé.
Il classe cette époque au palmarès des belles années de sa vie. La vie sur le camp, le travail au chantier, les amitiés créées, il garde des souvenirs impérissables de cette expérience.
Même s’il y a pensé souvent, l’homme n’a jamais pu revenir dans le coin – assez éloigné disons-le – au fil des décennies. C’est qu’à l’âge de 21 ans, M. Jacques a terminé son travail à Casey. Il est retourné dans sa ville natale, à Saint-Georges-de-Beauce, où il a fondé sa famille et y demeure toujours. Il a entre autres travaillé comme bûcheron aux États-Unis, pour aménager les lignes électriques, avant de devenir camionneur jusqu’à sa retraite, à 62 ans.
Un rêve exaucé
L’idée de ce voyage Saint-Georges-de-Beauce – Casey s’est concrétisée grâce à sa belle-sœur Guylaine et son mari Normand. Voulant égayer un peu le quotidien de son beau-frère, en deuil depuis le départ de son épouse le 3 avril dernier, cette dernière a mis en branle cette aventure.
«Un jour, ma belle-sœur m’a demandé s’il y a quelque chose que j’aimerais aller voir. Je lui ai dit que j’ai toujours voulu retourner voir Casey car j’ai vraiment de beaux souvenirs là. Elle n’a pas dit un mot, mais elle a tout organisé et une journée elle m’a appelé pour me dire: on part pour Casey», raconte-t-il, encore ému de cette opportunité qu’elle lui avait offerte.
Il faut dire que trois ans auparavant, M. Jacques avait eu ce projet de retourner voir les camps de bûcheron avec son ami Léopold, qui y avait aussi travaillé dans les mêmes années. Malheureusement, la maladie a emporté son ami avant que cela ne puisse se réaliser.
C’est ainsi que du 19 au 21 juillet dernier, le trio a parcouru les centaines de kilomètres séparant la Beauce de la Haute-Mauricie. Afin d’alléger le voyage à l’aller et au retour, ils ont fait escale pour deux nuits à La Tuque. Ce fût un périple épuisant, émotivement et physiquement, mais à écouter l’homme raconter son voyage avec autant d’enthousiasme, on comprend que ça en valait vraiment la peine.
«C’était simplement dans le but de faire plaisir à mon beau-frère. C’était beau de voir son bonheur», raconte Guylaine, évoquant qu’elle avait aussi vu la tristesse dans ses yeux puisqu’il n’avait pu revoir les gens qu’il aurait aimé revoir.
En effet, M. Jacques aurait aimé revoir sa belle Agnès, une autochtone d’Obedjwan qui fût son premier amour de jeunesse, mais qui est aujourd’hui décédée selon ce qu’il a appris sur place. Il aurait aussi aimé revoir ces autres autochtones, tout jeunes à l’époque, qui venaient cueillir des bleuets tout près du chantier où il bûchait. Il s’était lié d’amitié avec beaucoup de résidents là-bas. Il espérait également revoir d’anciens camarades au camp, sachant que beaucoup de travailleurs retraités reviennent passer leurs étés à Casey.
«Je voulais aller voir les anciens camps, les anciens amis. Mais la plupart sont disparus depuis le temps», témoigne-t-il avec une certaine déception.
De précieuses rencontres
Même s’il n’a pu se rendre dans la communauté d’Obedjwan, à cause de la distance et du contexte de Covid-19, M. Jacques a fait de précieuses rencontres dans le village de Casey, dont un ancien contremaître des camps de bûcheron, qui y demeure pendant la saison estivale.
«On a été accueillis comme de la grande visite, raconte Guylaine. Ils nous ont fait entrer dans la grande maison, on a passé tout l’après-midi avec ces gens.»
Il faut savoir que presque tous les chalets appartiennent aujourd’hui à des descendants des anciens bûcherons de Casey. «Ce sont des familles d’anciens travailleurs qui les habitent comme chalet de vacances, et comme ils ne peuvent pas voyager beaucoup cette année avec la Covid, le village était plein. C’était vraiment agréable!», ajoute-t-elle.
«Ça a tellement changé! C’était merveilleux de revoir ça!, lance l’ancien travailleur. J’ai vraiment aimé mon voyage, ça me fait vraiment un beau souvenir.»
C’est finalement le cœur reconnaissant et la mémoire gravée par ces souvenirs que cet ancien bûcheron a quitté Casey, pour la deuxième fois en 60 ans.
Le village de Casey
Fondé au XXe siècle, le village de Casey est situé en plein cœur de la forêt, le long de la voie ferrée entre La Tuque et Senneterre. Il y a d’ailleurs été longtemps accessible seulement par train. Les activités forestières de la Consolidated Paper et le chemin de fer ont été au cœur de son implantation. À son apogée, dans les années 1950, on comptait jusqu’à 350 résidents au village, qui comptait les bureaux, les entrepôts et les garages pour desservir les camps forestiers de la région. Casey est également connu pour son aérodrome, que le gouvernement a fait construire dans les années 1950 pour ses avions de chasse. La piste d’atterrissage est passée à l’histoire en 1992 lorsque le pilote Raymond Boulanger, parti de la Colombie à bord d’un Convair 580, atterrissait à Casey avec 4000 kg de cocaïne. Pourchassé par deux F-18 des Forces armées canadiennes, il avait réussi à les semer, mais à son arrivée en Haute-Mauricie, des policiers de la GRC l’attendaient.