Le Canada fait face au «négationnisme des pensionnats» autochtones

OTTAWA — Un historien de l’Université du Manitoba craint que les excuses du président américain Joe Biden pour les pensionnats autochtones provoquent une recrudescence du déni à ce sujet au Canada.

Sean Carleton, professeur d’histoire et d’études autochtones, affirme que les excuses historiques présentées vendredi par Joe Biden pour le rôle du gouvernement dans ces institutions et les dommages causés aux peuples autochtones vont sensibiliser les gens.

Mais il affirme qu’il existe déjà une tendance croissante aux États-Unis et au Canada de personnes qui cherchent à discréditer les histoires des survivants et les recherches qui montrent que des enfants sont morts alors qu’ils fréquentaient ces écoles.

Le NPD a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire à la Chambre des communes visant à criminaliser le déni des pensionnats, mais il y a peu de chances qu’il devienne une loi sans le soutien des libéraux au pouvoir.

Plus de 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter des pensionnats au Canada, dont le dernier a fermé en 1996.

On estime que 6000 d’entre eux sont morts dans ces écoles, mais des experts prétendent que le nombre réel pourrait être beaucoup plus élevé.

De nombreux survivants qui ont témoigné devant la Commission de la vérité et de la réconciliation ont raconté des histoires d’abus dans ces institutions et leurs propos sont inclus dans les rapports.

De plus en plus, ces histoires sont cependant sujettes à ce que l’historien Sean Carleton appelle le «négationnisme des pensionnats».

Il a déclaré que le négationnisme est une stratégie utilisée pour déformer et dénaturer les faits fondamentaux concernant les pensionnats afin d’ébranler la confiance du public dans les récits des survivants et dans le processus de vérité et de réconciliation entre les peuples autochtones et allochtones au Canada.

«Dans l’ensemble, l’objectif du négationnisme est de protéger le statu quo colonial», a soutenu M. Carleton, ajoutant que certains médias ont été utilisés pour diffuser cette désinformation.

Il s’agit notamment de déformer le nombre d’enfants morts de la tuberculose dans les pensionnats en disant que beaucoup de gens à l’époque mouraient de la maladie, et d’omettre le fait que les politiques du gouvernement fédéral ont exacerbé l’impact de la maladie dans les pensionnats en raison du surpeuplement, de la mauvaise alimentation et de l’absence d’assainissement et de ventilation adéquats.

Un autre thème commun que M. Carleton observe est que les pensionnats étaient «bien intentionnés». Les négationnistes ignorent que l’objectif déclaré de ces institutions était de perturber les liens des familles autochtones et d’accélérer leur assimilation.

«C’est semer constamment des graines de doute à propos de choses dont nous n’avons pas besoin de douter, car nous avons déjà établi la vérité à leur sujet», a-t-il indiqué.

Certaines personnes nient même que des élèves soient morts dans ces institutions, même si cela a été documenté dans les registres canadiens et religieux.

«C’est un discours de haine»

Les survivants réclament une protection contre les préjudices causés par ceux qui tentent de discréditer leurs histoires ou ceux qui tentent de prendre les choses en main et de se livrer à des comportements haineux.

La députée néo-démocrate Leah Gazan a présenté un projet de loi visant à criminaliser le déni des pensionnats avant la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

«Le déni des pensionnats est un discours de haine, point final. Pourquoi, après tout le temps que les survivants des pensionnats ont passé dans ces écoles, permettons-nous encore que des discours de haine et de violence soient perpétrés contre eux? Pourquoi les élus ne font-ils pas preuve de la diligence requise pour protéger les survivants des discours de haine? C’est exactement ce que mon projet de loi vise à faire», a-t-elle dit en entrevue.

Le projet de loi propose que quiconque, autrement qu’en privé, encourage la haine contre les peuples autochtones en «tolérant, niant, minimisant ou justifiant le système des pensionnats au Canada ou en dénaturant les faits qui s’y rapportent» soit passible d’une peine maximale de deux ans de prison.

Le projet de loi prévoit certaines exceptions, notamment si les déclarations sont vraies, si elles sont pertinentes pour l’intérêt public, si elles visent à souligner la haine envers les peuples autochtones ou s’il s’agit d’une opinion religieuse.

L’interlocutrice spéciale du Canada pour les enfants disparus et les tombes anonymes, Kimberly Murray, appelle depuis longtemps le gouvernement à intervenir pour endiguer la vague de négationnisme des pensionnats.

Dans un rapport publié l’année dernière, elle a documenté les attaques croissantes contre les communautés explorant d’éventuelles découvertes de tombes anonymes. Le rapport final devrait être publié la semaine prochaine lors d’un rassemblement à Gatineau.

Le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, a déclaré plus tôt ce mois-ci qu’il soutenait le projet de loi et qu’il travaillerait avec ses collègues sur les prochaines étapes. Les libéraux ne se sont toutefois pas engagés à adopter la loi.