L’entente pour indemniser les victimes de la loi P-38 est entre les mains d’un juge
MONTRÉAL — Les personnes souffrant de troubles de santé mentale qui ont été placées en garde préventive durant plus de 72 heures contre leur gré dans des hôpitaux en vertu de la loi P-38 pourraient très bientôt être indemnisées pour cette atteinte à leurs droits.
L’entente intervenue entre les groupes qui défendent ces personnes et le gouvernement du Québec a été soumise, mardi, au juge Martin Sheehan de la Cour supérieure, qui doit maintenant en avaliser les grandes lignes et trancher la question des honoraires des avocats, sur laquelle les parties ne s’entendent pas.
Le juge Sheehan a pris la question en délibéré, mais il est déjà acquis que l’entente, qui représente un montant total de 8,5 millions $, permettra à chacun des requérants d’obtenir 1000 $ par jour de garde injustifié, c’est-à-dire toute journée dépassant les 72 heures permises par la loi P-38 sans avoir obtenu préalablement une ordonnance de la Cour.
Une obligation non remplie
«La loi P-38 c’est une période de garde préventive qui est de 72 heures où on peut regarder ce qui se passe», a expliqué Diane Dupuis, directrice d’Action Autonomie, un groupe de défense des droits des personnes atteintes de troubles de santé mentale.
«Mais (les professionnels de la santé) ont absolument l’obligation, le devoir de présenter une requête à la Cour pour avoir une garde provisoire et, donc, d’augmenter le temps d’observation.
«Présentement, ces délais-là ne sont pas respectés», a-t-elle laissé tomber, d’où la demande d’action collective qui n’aura finalement jamais été entendue, les requérants s’étant entendus avec le gouvernement du Québec avant même que la Cour ne se prononce quant à savoir si la demande serait autorisée ou pas.
La loi P-38 donne le droit aux établissements de santé de garder une personne contre son gré de façon «préventive» pour un maximum de 72 heures si elle présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou autrui.
«La dérangosité plutôt que la dangerosité»
Diane Dupuis a rappelé que le célèbre avocat défenseur des victimes du système de santé, Me Jean-Pierre Ménard, dont le fils Patrick Martin-Ménard représente les demandeurs dans ce cas-ci, disait qu’ils «ont inventé la loi de la dérangosité au lieu de la dangerosité. La P-38 c’est pour les personnes qui sont dangereuses pour autrui ou pour soi-même. Mais parfois, il y a des gens qui dérangent, mais qui ne sont pas nécessairement dangereux.»
L’enveloppe de 8,5 millions $ de l’entente est principalement divisée en deux, soit un peu plus de 3,5 millions $ pour les personnes placées sous garde préventive plus de 72 heures contre leur gré ou sans l’autorisation d’un tribunal, et un peu moins de 5 millions $ à distribuer aux organismes de santé mentale des différentes régions du Québec.
Des victimes difficiles à trouver
Là où la plus grande des incertitudes demeure, c’est sur le nombre de victimes qui seraient en mesure de faire une réclamation, a expliqué Mme Dupuis. «Le chiffre qu’on a varie entre 100 et 3000, mais nos études démontrent qu’il y a présentement de plus en plus de personnes qui sont sous garde préventive.»
Un des grands défis sera de trouver et rejoindre les requérants potentiels, des personnes vulnérables qui sont souvent isolées et mal informées, a reconnu Me Patrick Martin-Ménard, qui se fie sur les réseaux communautaires. «Il y a des organismes régionaux dans chaque région qui sont en contact avec des gens qui ont subi ce type de procédure là, qui sont passés à travers une demande de garde en établissement, une demande de soins. Ces organismes vont pouvoir faire des démarches pour contacter leurs membres.»
Il estime qu’il s’agit là d’une entente historique puisqu’il s’agit «du premier recours collectif systémique en matière de droits des patients concernant l’application de la loi P-38 au Québec», alors que jusque-là, les personnes lésées dans leurs droits devaient intenter des recours individuels, une tâche colossale pour plusieurs personnes dans cette situation.
Informer les patients
En tant que requérant, Action Autonomie n’aura pas droit aux sommes destinées aux organismes, mais ses représentantes se disaient très satisfaites de l’entente à la sortie du tribunal. Leur combat se situe d’abord et avant tout du côté des droits. «Premièrement, les personnes qui arrivent en P-38 doivent être informées du fait qu’on ne peut les garder plus de 72 heures sans un ordre de la Cour et elles ne le sont pas toujours, même si la loi l’oblige», a fait valoir Mme Dupuis.
Bien que P-38 fasse l’objet d’une révision, elle a précisé que son organisme «réclame que la loi soit exactement la même, mais qu’elle soit appliquée à la mesure de ce qu’elle doit être». Le débat entourant la réforme risque d’être houleux. Lors de l’enquête de la coroner Géhane Kamel sur la mort de la policière Maureen Breau, policiers et personnel de la santé ont au contraire demandé une plus grande souplesse pour appliquer la garde préventive.
Si le juge Sheehan approuve l’entente – et il n’a donné aucune indication à l’effet qu’il ne le ferait pas, au-delà de trancher la question des honoraires – le processus de réclamation débutera dans les 30 jours suivant sa décision.