Les chefs des nations francophones veulent plus de temps avant de ratifier un accord

OTTAWA — L’Assemblée des Premières Nations (APN) a reporté l’assemblée spéciale où les chefs devaient voter sur un accord historique de réforme de la protection de l’enfance avec le Canada, après que des chefs et des défenseurs ont soulevé des inquiétudes concernant le processus et une traduction tardive du document en français.

L’assemblée de ratification de cet accord historique de 47,8 milliards $ devait se tenir en septembre à Winnipeg, mais elle n’aura pas lieu avant octobre ou novembre, a finalement annoncé l’APN mardi.

«Bien que de nombreux chefs m’aient dit qu’ils étaient impatients de soutenir le projet d’accord le mois prochain, le comité exécutif de l’APN a accepté d’accorder plus de temps aux autres chefs pour examiner le projet d’accord», a écrit la cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak dans une lettre.

«En attendant, j’ai hâte de rencontrer d’autres chefs au cours des prochaines semaines pour discuter de l’accord, écouter vos points de vue et répondre à vos questions.»

Après des décennies de litiges, Ottawa, l’Assemblée des Premières Nations, les chefs de l’Ontario et la Nishnawbe Aski Nation ont conclu une entente en juillet sur la façon de réformer le système de protection des enfants autochtones. Les tribunaux avaient finalement conclu que le Canada faisait preuve de discrimination envers les enfants autochtones dans les réserves.

L’entente de principe pour la réforme à long terme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations et du principe de Jordan a été conclue le 11 juillet dernier.

Au cours des dernières semaines, des chefs et des défenseurs des droits des Autochtones ont publiquement exprimé leurs inquiétudes au sujet de certaines sections de l’entente de principe, et du fait qu’une version en français du document avait été rendue disponible quelques semaines plus tard. Le texte a été distribué en anglais le lendemain de la conclusion de l’entente, mais une version en français n’a été publiée qu’un mois plus tard, le 12 août.

Savanna McGregor, grande cheffe du Conseil tribal de la nation algonquine Anishinabeg, disait plus tôt mardi qu’elle avait bon espoir qu’en raison du délai dans la traduction, l’assemblée de ratification serait reportée afin de donner aux chefs plus de temps pour examiner l’accord.

«Toutes nos communautés doivent avoir une chance équitable de procéder à une analyse détaillée de l’accord final, et cela prend du temps. Le sujet en question est trop délicat», plaidait Mme McGregor.

Ghislain Picard, chef régional de l’APN pour le Québec et le Labrador, soulignait de son côté la semaine dernière que le gouvernement fédéral avait l’obligation juridique de veiller à ce que l’accord soit disponible dans les deux langues officielles. «Il y a une Loi sur les langues officielles qui doit être respectée», disait-il.

Mais dans une déclaration écrite, le porte-parole de Services aux Autochtones Canada, Anispiragas Piragasanathar, expliquait que tous les documents publiés par le fédéral relativement à cet accord étaient disponibles dans les deux langues officielles et que l’accord final, lui, avait été publié par l’APN.

«Dans un esprit de réconciliation, le Canada ne devrait pas et ne dira pas aux organisations des Premières Nations comment consulter leurs propres membres, a-t-il déclaré. Nous respecterons leur processus d’autodétermination.»

Dans une entrevue mardi, Mme Woodhouse Nepinak a déclaré qu’il était «injuste» que le Canada blâme l’APN.

«Ce sont leurs langues, a-t-elle relevé. J’espère que ce document sera traduit dans toutes nos langues, c’est aussi important.»

Un accord complexe et critiqué

L’APN représente quelque 630 chefs des Premières Nations à travers le Canada. En grande partie financée par Ottawa, elle contribue aux efforts fédéraux de consultation sur les lois qui pourraient affecter les Premières Nations et défend les intérêts des chefs sur la base des résolutions adoptées lors de leurs réunions.

Même si le ministère soutient que le processus de ratification était entre les mains de l’APN, Mme McGregor a déclaré que les chefs du Québec et du Labrador avaient tenu samedi dernier une réunion d’urgence avec la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, et la cheffe nationale Woodhouse Nepinak. Les chefs ont alors fait pression pour que le vote de ratification soit reporté à octobre.

L’accord proposé vaut plus du double de ce qui avait été promis à l’origine pour une réforme à long terme dans un accord de règlement résultant d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne concernant le sous-financement des services de protection de l’enfance.

Le gouvernement fédéral est responsable de la protection de l’enfance dans les réserves, et les gouvernements provinciaux des programmes de protection de l’enfance partout ailleurs.

Mais le financement d’Ottawa n’était égal à celui des provinces qu’en ce qui concerne les familles d’accueil, car il devait payer les agences provinciales pour fournir ce service aux tarifs provinciaux. Le Tribunal canadien des droits de la personne a statué que le Canada avait agi de manière discriminatoire à l’égard des enfants dans les réserves.

Cindy Blackstock, qui dirige la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et qui a contribué à présenter la plainte initiale au tribunal, a soulevé des inquiétudes concernant certaines clauses de l’accord, notamment une qui demande aux parties de le promouvoir et de le défendre publiquement, ce qui, selon elle, n’est pas une consultation.

Elle a affirmé que même si elle était un peu soulagée que le vote ait été reporté, elle souhaite voir des changements substantiels dans la manière dont les consultations sont menées et dans certaines parties de la structure de l’accord.

«Si le vote est simplement retardé et que le secret et le récit incomplet sur le contenu de l’accord continuent, et qu’il n’y a pas d’amendements substantiels, ces problèmes ne seront pas résolus», a-t-elle laissé entendre.

Mme Blackstock a également déclaré que l’APN doit désavouer la clause qui l’oblige à promouvoir l’accord pour obtenir l’approbation des dirigeants des Premières Nations, et doit être en mesure de fournir aux dirigeants «des informations claires».

Lorsqu’on lui a demandé si elle le ferait, Mme Woodhouse Nepinak a répondu «absolument», ajoutant qu’il était important pour elle d’écouter les chefs et ce qu’ils veulent.

Mme Blackstock demande également un processus permettant aux chefs de proposer des amendements et un protocole pour les négocier. «Cela ne devrait pas être laissé au (gouvernement du) Canada», a-t-elle plaidé.

Mme Woodhouse Nepinak s’est dite ouverte à cette suggestion et envisage d’inviter Mme Blackstock à s’adresser à l’assemblée.

Jennifer Kozelj, porte-parole de la ministre Hajdu, a déclaré dans un communiqué que la décision de déplacer le vote appartenait uniquement à l’APN.

«Le gouvernement du Canada continuera de soutenir les parties dans leurs efforts pour mobiliser les partenaires sur l’accord historique de 47 milliards $ visant à réformer les services à l’enfance et à la famille.»

«Préoccupations toujours bien présentes»

L’accord visant à réformer la protection de l’enfance des Premières Nations a fait l’objet de discussions longues et parfois tendues entre les chefs et les défenseurs.

L’accord visant à réformer le système de protection de l’enfance des Premières Nations a fait l’objet de discussions longues et parfois tendues entre les chefs et les défenseurs.

En juin, trois chefs régionaux représentant près de la moitié des Premières Nations ont accusé dans une lettre l’APN d’outrepasser son mandat en prenant des décisions qui affecteront directement les enfants et les familles sans leur consentement et en affirmant qu’elle n’était pas transparente dans ces négociations.

Dans une lettre de réponse, Mme Woodhouse Nepinak a qualifié d’inexactes un certain nombre de ces allégations et déclaré que même si les chefs peuvent être en désaccord avec le déroulement des négociations, attaquer les employés et les conseillers juridiques «n’est pas utile».

Deux mois après avoir signé cette lettre critiquant le processus, le chef Picard a déclaré que «ces préoccupations sont toujours bien présentes».

Mme Woodhouse Nepinak a déclaré que l’assemblée s’efforce de faire en sorte que les chefs soient à l’aise pour signer sur la ligne pointillée et qu’elle «attend avec impatience» d’entendre M. Picard.

«Je vais au Québec cette semaine, a-t-elle annoncé. Et j’espère que nous pourrons travailler ensemble de manière positive.»